Sandwich Islands Contents Notes Source Whalesite |
TABLE DES MATIÈRES.
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ILES SANDWICH.
Le 20 octobre, vieux style ( 1er novembre ), 1816, nous avons quitté la baie San-Francisco, et fait route pour les îles Sandwich. M. Éliot, anglais de nation, qui avait long-temps demeuré dans cet archipel, en qualité de médecin du roi, et qui depuis avait fait un long séjour en Californie, s'embarqua sur le Rurik, pour retourner à Ovaïhy: ce qui nous fut très-avantageux; car, profondément versé dans la langue des insulaires et instruit de leurs usages, il nous a rendu de très-grands services. Le 9 (21) novembre, nous eûmes connaissance d'Ovaïhy. Le Mona - Roa frappe d'abord les regards et se distingue aisément des deux autres grandes montagnes de l'ile, le Mona-Vororaï et le Mona-Kéa. Nous ne vimes pas du tout de neige sur aucun de ces sommets; à notre seconde relâche, l'année suivante, nous n'en aperçûmes pas non plus. D'après le calcul de M. Horner, astronome de l'expédition du capitaine Krusenstern, l'élévation du Mona - Roa est de 5,024 mètres au-dessus du niveau de la mer. Pl. I. Le flanc du Mona-Vororaï qui fait face à la mer, est couvert de lave jusqu'au rivage. Lorsque le soleil darde ses rayons sur |
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ce côté, il est très-difficile de le regarder, parce qu'il réfléchit une lumière trop éclatante. On nous dit que ce volcan avait eu, en 1774, une éruption qui avait causé de grands ravages dans l'île, et qu'à-présent il vomit souvent de la fumée. Nous étions encore à-peu-près à cinq milles de la terre, lorsque plusieurs canots nous accostèrent; ils nous vendirent des melons d'eau, des ignames et des patates. Ayant le projet de mouiller à l'ile de Vahou, parce que son port est excellent, nous voulions demander à Tamméaméa, roi de cet archipel, la permission d'y aller. Nous fùmes très-surpris de ce qu'ayant demandé aux insulaires où le roi était alors, ils ne voulurent pas nous le dire; enfin nous apprîmes qu'il se trouvait dans la baie de Tiritatéa ou Kiekakéa. Comme il fait ordinairement calme dans le voisinage des îles hautes, nous ne pûmes arriver dans la baie que le 12, au lever du soleil. Plusieurs milliers d'insulaires armés étaient rassemblés sur le rivage, et quelques centaines d'entre eux avaient des fusils. On nous conduisit au roi; il était assis près de la plage, à côté de la maison de Kahoumanou, sa femme favorite, sur une belle natte étendue à terre et fabriquée dans ces îles; une grande pièce d'étoffe noire, de manufacture indigène, lui servait de manteau; les principaux chefs, tous armés, se tenaient autour de lui; plus loin était le peuple. Un homme qui était assis derrière le roi, avait à la main un mouchoir et un crachoir fait d'un très-beau bois brun et orné de dents humaines; le prince ne se servit pas de ce dernier meuble. Tamméaméa nous reçut très-froidement, parce qu'un navire américain arrivé dans cette île peu de temps avant nous, qui avait à bord beaucoup de poudre et d'armes et qui probablement voulait les vendre promptement, raconta que le vaisseau russe le Rurik, accompagné de plusieurs autres bâtiments de sa nation, |
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devait venir aux îles Sandwich afin de s'en emparer pour son souverain. A cette nouvelle, le roi fit aussitôt construire un fort à Vahou. Ensuite, lorsque l'on aperçut notre pavillon, le peuple rassembla en armes auprès du roi. Nous avons appris depuis que les insulaires armés étaient au nombre de 4000 hommes. M. Éliot, auquel le roi témoigna beaucoup d'amitié dès qu'il le reconnut, ayant représenté à ce prince que les nouvelles débitées le navire américain étaient fausses et que le but du voyage par du Rurik était entièrement pacifique, les inquiétudes de Tamméaméa se calmèrent. M. Éliot lui ayant dit ensuite que nous lui demandions la permission d'acheter des provisions, il nous promit tous les secours qui étaient en son pouvoir, ajoutant qu'il éprouvait une vive satisfaction à faire quelque chose pour une expédition de découvertes, et que tout ce dont nous avions besoin nous serait fourni gratuitement. Tamméaméa nous permit de parcourir l'île, mais nous fit toujours accompagner de quelqu'un, sous prétexte que ces promenades pourraient être dangereuses pour nous, parce que les insulaires n'avaient pas confiance à nos intentions pacifiques. Il nous conduisit ensuite à sa maison, qui ne se distinguait des autres que par sa grandeur; le plancher en était couvert de belles nattes; on voyait au milieu une table à l'européenne et une chaise. Je demandai à Tamméaméa la permission de faire son portrait; cette proposition parut lui plaire beaucoup; mais il m'invita à sortir un instant, parce qu'il voulait s'habiller; il ne tarda pas à me faire rappeler que l'on juge de ma surprise, en voyant ce monarque se pavaner dans un vêtement de matelot; il avait un pantalon bleu, un gilet rouge, une chemise blanche propre, et une cravate de soie jaune. Je le priai de changer de costume, il refusa absolument; et insista pour être peint comme il était vêtu. Dans la planche II est représenté avec son manteau noir. Planche II. |
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Il nous invita à déjeuner dans sa maison des sacrifices, près du temple. Les mets nous furent présentés sur des assiettes de porcelaine de la Chine. Un cochon de lait rôti, ainsi que les ignames, les patates et autres racines furent servis sur des feuilles fraîches de bananier; le bon vin ne manqua point au repas. Le roi y assista, ainsi que quelques Anglais et Américains établis dans l'île; aucun d'eux ne voulut rien prendre. Le repas fini, on nous dit que c'était une offrande d'actions de grace aux Dieux, de ce que nous étions venus non comme ennemis, ainsi qu'on l'avait craint, mais comme amis. Tamméaméa déjeuna ensuite seul dans sa maison; on lui servit du poisson grillé, des bananes, des patates, et du paya, c'est une bouillie faite de racines de tarro écrasées dans l'eau. Le roi ne se servit ni de couteau, ni de fourchette; il semblait aimer beaucoup le bon vin de Madère. Nous lui fimes présent d'excellent vin doux du Chili, qui ne fut pas de son goût; il le comparait à de la mélasse. Les domestiques et même les chefs avaient les épaules découvertes en présence du roi. Tamméaméa a sept femmes qui sont toutes âgées et extraordinairement grosses, de même que toutes les femmes des chefs sans exception. Kahoumanou, celle qu'il aime le mieux, est trèsgrande et très-forte; si elle n'était pas si noire, elle pourrait passer pour une belle femme. Pl. III. Nous vîmes chez elle ses deux filles; l'une âgée d'environ dixhuit ans, l'autre de treize. Celle-ci est très-jolie, mais très-noire; elles sont, comme toutes les femmes de ces îles, découvertes jusqu'à la ceinture. On dit que Tamméaméa, dans sa jeunesse, était extrêmement jaloux. Deux de ses fils devinrent amoureux de Kahoumanou; il en fut instruit et résolut de les punir; il les étrangla de ses propres mains sur une place publique, en présence du peuple. |
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Les reines, de même que toutes les femmes de distinction, ont auprès d'elles de jeunes garçons pour chasser les mouches avec des touffes de plumes ou de rubans. Pl. III. On se préserve de l'ardeur du soleil avec des parasols. Nous avons rendu visite à Liolio, fils du roi, et héritier du royaume; il était assis à terre sur une belle natte, à-peu-près tout nu; il nous reçut très-froidement, ne proféra pas une parole, et eut l'air de faire à peine attention à nous il était entouré de plusieurs chefs. Liolio a été en Angleterre; il parle bien anglais; il déteste tous les étrangers, et les changements que son père a introduits dans le gouvernement. On dit que tous les vieux chefs ont embrassé son parti. La baie de Tiritatéa n'est pas grande ni commode pour les bâtimens qui veulent y mouiller, parce que le fond est de rochers de corail aigus qui coupent les câbles. Nous y avons trouvé mouillé un grand navire américain à trois mâts, le Brutus, de Boston. Le mauvais temps lui avait fait perdre deux de ses mâts dans sa traversée de la côte Nord-Ouest d'Amérique à cet archipel. Il avait réparé ses avaries dans la baie de Karakakoua, tristement célèbre par la mort du capitaine Cook. Il devait aller ensuite à la Chine. Le village situé sur le bord de la mer est assez grand et ombragé de beaux cocotiers. On y voit trois maisons en pierre, qui servent de magasins au roi. Les insulaires ont construit le long du rivage de grands hangars sous lesquels ils conservent leurs pirogues de guerre au nombre de plusieurs centaines; quelques-unes ont quarante et jusqu'à soixante pieds de longueur; toutes sont creusées dans un seul tronc d'arbre. Les plus longues sont ordinairement doubles. Ovaïhy n'est pas aussi abondante en fruits que les autres îles de cet archipel: notamment que Movy et Vahou; mais on dit que |
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les femmes d'Ovaïhy sont les plus jolies. La modestie n'est la vertu à la mode chez beaucoup d'entre elles, car elles nous firent des avances. Parmi les présents que nous fimes au roi, les objets qui lui plurent davantage furent deux mortiers en bronze, avec une quantité de bombes. Lorsque nous prîmes congé de lui, dans la soirée, il donna ordre à un des chefs de nous conduire à Vahou, de nous y faire fournir tous les secours dont nous avions besoin, et de veiller à ce que nous fussions bien reçus. Le 12 (24) nous eûmes connaissance de l'ile de Vahou, et le 13 (25) nous nous en approchâmes. Elle nous parut beaucoup plus fertile qu'Ovaïhy, moins brûlée et moins noire, et bien plus verdoyante. Sur sa côte méridionale s'élève une montagne conique assez haute, dont la cime la plus élevée s'est affaissée, et semble être le cratère d'un volcan éteint depuis long-temps. Plusieurs pirogues nous accostèrent. Manouya, ainsi s'appelait l'envoyé du roi qui nous accompagnait, alla à terre dans un de ces bateaux. Bientôt nous aperçùmes le village et le port d'Hanarourou, où plusieurs vaisseaux étaient à l'ancre; un fort en défend l'entrée ainsi que ses rives; il est monté de trente canons de huit, de douze et de seize; sur ses murs flotte le pavillon du roi Tamméaméa, qui offre sept bandes alternativement bleues, rouges et blanches; dans le coin supérieur, près du bâton, se trouve l'iack, ou petit pavillon anglais. Entre autres bâtiments mouillés dans le port, il y en avait deux au roi un grand navire à trois mâts, qui portait le nom de la femme du vice-roi, et un très-beau brig, de dix-huit canons, qui se nommait la Kahoumanou, en l'honneur de la reine. Celui-ci devait être expédié à la Chine par le roi, avec une cargaison de bois de Santal. Lorsque l'année suivante nous revinmes dans cet archipel, nous apprimes que la Kahoumanou était effec- |
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tivement allée à Canton, mais que les Chinois n'avaient pas voulu l'admettre, sous prétexte que ce navire portait un pavillon qu'ils ne connaissaient pas. Tous les bâtiments qui appartiennent au roi, sont commandés par des Américains ou des Anglais; la moitié des matelots est aussi composée d'étrangers, et le reste l'est d'indigènes. Le 14 (26) nous sommes entrés dans le port qu'un récif de corail met à l'abri de la lame. Il est situé par 21° 18' 0" de latitude nord, et 160° 31' 22'' de longitude à l'ouest de Paris. John Young, si connu par les relations des voyageurs qui nous ont précédés dans cet archipel, où il est établi depuis vingt-six ans, vint nous voir. Il est aimé et estimé du roi et de son peuple. Il a quatre-vingt-trois ans. Lorsque nous revînmes ici, en 1817, il était extrêmement affaibli, de sorte que l'on ne pouvait guère espérer qu'il vécût encore long-temps. Il avait été maître d'équipage d'un navire américain qui aborda en mars 1790 à Ovaïhy. Le 17, Young avait obtenu la permission de rester à terre jusqu'au lendemain; lorsqu'il voulut retourner à bord, il trouva toutes les pirogues tabouées et retirées sur la grève, et Tamméaméa lui déclara que s'il osait se servir d'une embarcation du pays, il serait mis à mort, mais qu'on lui en fournirait une le lendemain. Cependant, instruit qu'une goëlette, commandée par le fils du capitaine américain, avait été arrêtée dans une baie, au sud d'Ovaïhy, et que quatre des cinq hommes qui la montaient avaient été massacrés par les insulaires, le roi ne voulut point permettre à Young de partir; il le traita d'ailleurs avec beaucoup d'amitié. Le bâtiment d'Young, qui avait levé l'ancre pour profiter du vent favorable, resta deux jours devant la baie de Karakakoua, tirant des coups de canon pour avertir Young, et s'approchant de la côte autant qu'il était possible; enfin un coup de vent l'obligea de s'éloigner et d'appareiller. |
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Quand Young se vit forcé de rester dans un pays dont il ignorait la langue, où il n'y avait pas d'autre européen, et d'où il ne pouvait espérer de sortir bientôt, à moins d'un événement extraordinaire, il tomba dans le chagrin et l'abattement. Le roi chercha à le consoler et à lui rendre le courage; il lui témoigna beaucoup d'affection et d'estime, lui donna des champs et des hommes pour les cultiver, lui fit aussi présent de cochons, enfin ordonna aux chefs de lui marquer de l'amitié et des égards. Tous prodiguèrent leurs dons à Young, de sorte qu'en peu de temps, il fut un des plus riches particuliers du pays. Il apprit la langue, se fit aimer des habitants, épousa une femme d'une classe distinguée, et fut élevé au rang des chefs; alors il résolut de finir ses jours dans l'île. Avant de parvenir à ce degré de considération, il avait formé avec un autre Anglais le projet de s'enfuir; ce dessein échoua. Depuis cette époque il s'était résigné à son sort; sa bonne conduite envers les indigènes et envers les étrangers qui abordent à cette île, lui avaient acquis l'estime générale et la confiance illimitée de Tamméaméa. Toutes les affaires lui passaient par les mains. Le fort de Vahou est gardé par une garnison d'insulaires; les canonniers sont Américains ou Anglais. M. Billey, officier de la compagnie anglaise des Indes, en était commandant. Kraïmokou, vice-roi de Vahou, gouverne cette île au nom de Tamméaméa. C'est un homme de beaucoup d'esprit, qui entend le commerce aussi bien que son souverain. Les Américains relâchent à cette île tous les ans au printemps, quand ils arrivent dans le grand Océan; et en automne, dans leur traversée de la côte nord-ouest du Nouveau-Continent à la Chine. Ils y prennent des rafraîchissements, et y chargent aussi du bois de Santal. Ce bois ne coûte aux îles Sandwich que six piastres le quintal, et se vend dix et onze piastres à la Chine, où l'on en fait toutes sortes de |
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petits ouvrages, tels que des éventails; on en extrait aussi une huile odorante, et on le brûle comme offrande devant les images des Dieux. Ce bois étant très-lourd, un navire peut en charger pour une valeur considérable sans en prendre une quantité qui l'encombrerait. Comme il est très-abondant sur ces îles, c'est un de leurs principaux objets de commerce. Le roi ne prenait autrefois que du fer en échange, ou des outils de ce métal, et des armes; il reçoit volontiers aujourd'hui des armes, de la poudre, du biscuit de navire, et aime beaucoup, lorsque c'est possible, qu'on lui paie une partie de la somme en piastres. On pêche dans cet archipel, et sur-tout à Vahou, de trèsbelles perles. Elles appartiennent au roi; il les rassemble soigneusement. Souvent des Américains et des Anglais restent ici pendant quelques mois avec des marchandises pour les échanger secrètement avec les naturels contre des perles; mais ce commerce clandestin ne leur est pas très-avantageux; car les insulaires, s'imaginant que c'est une marchandise extrêmement précieuse, en demandent un prix à-peu-près égal à celui qu'on peut espérer d'en obtenir en Europe ou en Chine. Parmi les objets que ces îles fournissent abondamment aux navires qui arrivent, on peut compter les femmes. Tous les soirs, au coucher du soleil, ils sont entourés de centaines de pirogues chargées de jeunes filles qui appartiennent aux basses classes du peuple; celles qui sont nées dans un rang plus élevé, ne cèdent qu'à des sollicitations réitérées. Au reste, les femmes de cet archipel, de même que celles de beaucoup de pays de la zône torride, ont, très-jeunes encore, et quelquefois même avant l'âge de dix ans, commerce avec les hommes. Les hommes sont extrêmement jaloux de leurs compatriotes; mais ils cèdent aux blancs, sans répugnance, leurs femmes, leurs sœurs ou leurs filles. Un homme peut avoir autant de femmes |
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qu'il peut en nourrir; les gens du commun n'en ont ordinairement qu'une. Lorsqu'un homme a jeté ses vues sur une jeune fille, il l'invite à venir vivre avec lui. On reste ainsi plusieurs semaines, plusieurs mois, jusqu'à ce que l'on soit fatigué l'un de l'autre; on se sépare sans se fâcher; l'homme cherche une autre femme, et continue ainsi à en changer jusqu'à ce qu'il soit las de ce train de vie. Si la femme devient enceinte, l'homme reste avec elle. Il n'y a pas d'exemple de séparation dans ce cas. Donner un baiser est une chose inconnue; on se frotte mutuellement le nez comme si l'on voulait flairer une fleur. Les grands se distinguent aisément du peuple; ils sont de haute taille et gras; leur teint est brun foncé; ils ont les cheveux moins longs que les gens du commun, souvent crépus et courts; les lèvres généralement assez grosses; tandis que le peuple est petit et maigre, a le teint plus jaune, les cheveux plus lisses. Les enfants, en venant au monde, sont complètement noirs; la jeune fille, la plus jolie et la plus délicate, qui s'expose le moins à l'action de l'air et du soleil, est noire; celles qui sont obligées de travailler constamment à l'ardeur du soleil, sont presque de couleur orangée. Les grands ne se distinguent pas du peuple par l'habillement, excepté que pour se vêtir, ils emploient de plus grands morceaux d'étoffe; cependant nous avons observé que la couleur noire pour les vêtements, leur est exclusivement dévolue. La noblesse est héréditaire, non par les hommes, mais par les femmes. Les enfants d'un homme noble et d'une femme qui ne l'est pas, sont regardés comme étant de la classe commune; mais les enfants d'une femme noble et d'un homme qui ne l'est pas, appartiennent à la classe de la noblesse. La condition des femmes n'est pas améliorée depuis que l'im- |
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mortel Cook nous a fait connaître cet archipel. Il leur est défendu, sous peine de la vie, de manger du cochon, des bananes et des cocos; de faire usage du feu allumé par des hommes; d'entrer dans l'endroit où ils mangent; quand une femme enfreint une de ces défenses, on la tue sans pitié. Étant mouillés dans le port, nous vimes flotter sur l'eau le corps d'une jeune femme. Elle avait eu le malheur, étant ivre, d'entrer dans la maison où les hommes mangeaient; les habitants l'étranglèrent sur-le-champ, et le jetèrent à la mer. Chaque famille a, par ce motif, plusieurs maisons; l'homme en a trois: il dort dans l'une, mange dans la seconde, et fait du feu dans la troisième; la femme en a un nombre égal. Si un homme mange dans la maison de la femme, aucune femme ne peut plus y entrer; si l'homme se sert du feu allumé par les femmes, aucune d'elles ne peut ensuite en faire usage. Les femmes et les gens du commun sont également exclus des mystères de la religion (Tabou). Au commencement de chaque mois, il y a deux à trois jours de fête (Tabou), et dans le courant de l'année il y en a quatorze, que les chefs sont obligés de passer dans les temples à prier; ils y mangent et ils y dorment aussi pendant tout ce temps; car ils ne peuvent, tant qu'il dure, entrer dans une autre maison; s'ils y mettaient le pied, elle serait brûlée à l'instant. S'ils touchent une femme, elle est mise à mort sur-le-champ; s'ils touchent un homme, il faut que celui-ci reste dans le temple à se purifier pendant toute la durée de la fête. Les Taboués ont la liberté de sortir du temple pour se promener; alors ils se font accompagner par des hommes qui portent des drapeaux, pour indiquer au peuple qu'il doit s'éloigner. Pendant toute la durée de ce tabou, les femmes ne peuvent pas aller sur la mer sous peine de mort. Quand nous étions dans l'île, la femme de Kraïmokou resta par malheur trop long-temps à bord |
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d'un navire américain, et ne retourna à terre qu'après le coucher du soleil, un jour que le tabou commençait. Comme le tabou était commencé dès ce moment, le peuple, transporté de fureur, l'attendait sur le rivage, et se jeta sur elle pour la punir. Heureusement des Américains et des Anglais qui avaient prévu l'évènement, réunirent leurs efforts et la sauvèrent. Les prières se font dans une langue qui n'est comprise de personne, et pourtant tous les nobles les savent par cœur. Ils appellent Dieu, Atoua, et Atoua noui noui (Grand Dieu). On le représente par des figures en bois, de même que d'autres dieux; mais seul il a plusieurs centaines de dents de chien dans la bouche, et est orné de plumes. Les autres dieux ont chacun des noms différents; tels que Tanatatea, pl. VIII, fig. 3; Otihou-Otouaï ou Oréro, pl. VI, fig. 3; Kavakakaï, pl. VII, fig. 2; Tanaréré, Otaounoutou, pl. VII, fig. 1; Tanaré-Papaou, pl. VII, fig. 4; Kaleaoko, pl. VIII, fig. 1; Avapelou, Aramokou Otavata, pl. VI, fig. 4; Hareopapa, pl. VI, fig. 2; Mau, pl. VI, fig. 1. La planche V représente le temple du roi; le dieu qui porte un oiseau sur la tête est celui de la guerre. Il y a aussi un tambour sacré nommé Apahou; il est orné d'un grand nombre de dents, sur-tout de celles des victimes humaines qui ont été immolées aux dieux. On offre en sacrifice des cochons, des bananes, des cocos et des hommes, à ce qu'on nous a dit, mais il paraît que ce sont toujours des criminels. Le tambour commun s'appelle Houra-Houra aux îles Sandwich; la danse et le chant se désignent aussi par le même nom. Pl. VIII. Toutes ces idoles des îles Sandwich ont généralement trois, quatre, six, et même plus de huit pieds de hauteur; les insulaires semblaient ne pas avoir beaucoup de respect pour ces images des dieux; ils en faisaient des objets de plaisanterie. J'ai entendu |
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dire que des étrangers étaient un jour entrés sans permission dans un temple où il y avait un grand nombre de ces idoles; le peuple voulait punir par la mort l'affront fait aux dieux; mais les Américains et les Anglais qui habitent dans ces îles employèrent leur influence pour calmer la furie du peuple. Enfin on se contenta de brûler le temple, et on jeta les dieux dans un coin. Nous avons remarqué une figure de Priape parmi ces idoles. Chaque chef a sous sa dépendance un certain nombre d'hommes qui lui obéissent, qui sont tenus de cultiver ses champs et de lui remettre une quantité déterminée du produit. Quand le roi veut faire travailler, les chefs sont obligés de lui fournir des hommes. Les favoris du roi lui marquent leur affection en manifestant le desir d'être sacrifiés aux dieux à l'instant où il mourra. Nous avons vu un de ces hommes, destiné à finir ses jours au moment où le roi expirerait. (Pl. X, fig. 1.) Cet homme paraissait heureux de l'idée et fier de l'honneur de servir encore le roi après cette vie terrestre. Il aimait extraordinairement sa femme, faisait tout ce qui pouvait lui être agréable, et lui choisissait les étrangers les mieux faits qui avaient su lui plaire. On cultive beaucoup le mûrier à papier dans ces îles. Lorsque l'arbre est âgé de trois ans, on le coupe tout près de la racine; on racle soigneusement l'épiderme qui est jeté comme inutile, puis on enlève l'écorce; on la laisse tremper une quinzaine de jours dans l'eau, pour l'amollir, ensuite on la pétrit et on en fait des boules de la grosseur d'une pomme moyenne; on les pose sur une planche propre et on les frappe avec des maillets de bois, pour applatir, étendre et amincir la masse; de sorte qu'une de ces boules devient une pièce d'étoffe qui a sept à huit pieds de long sur autant de large. La pâte pouvant se sécher pendant qu'on la travaille ainsi, on l'humecte fréquemment, et la prépa- |
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ration durant souvent dix à douze jours, on mouille constamment la pâte pendant la nuit. L'étoffe que l'on obtient par ce procédé est d'un gris jaunâtre; elle est ensuite teinte avec des couleurs tirées de feuilles et de racines de végétaux; toutes les figures que l'on y dessine sont exécutées avec un soin et une patience extrêmes par des femmes qui se servent à cet effet d'un petit roseau fendu. Les étoffes qui ne sont pas teintes se lavent aisément. On frotte les autres d'huile odorante que l'on extrait des racines et du bois de santal. On récolte beaucoup de tabac, dont les Américains ont apporté la graine: il est très-fort. Les insulaires sont devenus des fumeurs déterminés; les femmes mêmes ont souvent la pipe à la bouche. Le coton est un produit indigène de cet archipel; mais on n'en fait aucun usage. Les femmes aiment beaucoup à se parer; elles se coupent les cheveux très-courts; elles relèvent ceux du front, et les enduisent de chaux plusieurs fois dans la journée, ce qui les fait devenir blonds, et même entièrement blancs. Nous avons souvent vu de ces cheveux teints qui étaient couleur de rose; mais nous n'avons pu apprendre comment on leur donne cette teinte. Plusieurs Européens croyaient que cette mode n'existait que depuis qu'ils fréquentent ces îles. Cette opinion n'est pas vraisemblable, puisque les cheveux de la déesse Hareopapa (Pl. VI, fig. 2.) sont peints de la même manière, et que le bois dont elle est faite est coupé depuis cent ans au moins. Les jeunes femmes et plusieurs hommes ont depuis long-temps adopté la mode abandonnée par les Européens, de mettre les cheveux en queue. Beaucoup d'hommes se teignent aussi les cheveux. Les pirogues des naturels sont très-longues et doubles, ou pourvues de balanciers sur un des côtés. On les fait ordinaire- |
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ment aller à la pagaïe. Ce n'est que par un vent très - favorable que les insulaires emploient les voiles. Ils sont excellents na geurs; mais on a quelquefois exagéré leur habileté en ce point; ils ne peuvent pas nager à plus de sept milles de distance de terre; on n'en a pas vu non plus qui plongeât à plus de onze brasses de profondeur; quand ils y parviennent, le sang leur sort par le nez et par les yeux; du reste, ils sont très-adroits dans cet exercice. Le cuivre de notre bâtiment s'était rongé sous la quille; un insulaire plongea, examina le dommage, en vint rendre compte, plongea de nouveau avec un marteau, un morceau de cuivre et des clous, et répara tout avec beaucoup d'exactitude. Souvent des insulaires s'embarquent sur des navires américains qui vont à Canton ou à la côte nord-ouest d'Amérique: à leur retour, ils éprouvent beaucoup de plaisir à raconter leurs aventures à leurs compatriotes; et, comme cela arrive fréquemment aux hommes plus civilisés, ils exagèrent ce qu'ils ont vu dans leurs voyages. Ce sont de bons matelots, fidèles et de bonne humeur. Le peuple et les chefs aiment extraordinairement les habillements européens; quelques chefs s'en vêtissent, mais seulement quand ils font visite aux bâtiments qui arrivent. Taïmotou, frère de la reine Kahoumanou, était presque toujours mis à l'anglaise. Les nobles étant sans exception très-gras, boivent du kava pour maigrir, en même temps qu'ils gardent une diète sévère, et effectivement leur embonpoint diminue sensiblement; la peau se ride, tombe par écailles, et se renouvelle. Beaucoup de vieux chefs boivent le kava, ou ava, par plaisir; Ils maigrissent, leurs yeux deviennent rouges; l'usage de cette boisson leur donne un air de gens à demi ivres. Les voyages de Cook décrivent la maniere dégoûtante dont on prépare cette bois- |
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son qui est en vogue dans les principaux archipels du grand Océan, et dont l'abus produit par-tout des effets pernicieux. On a pensé qu'il faut lui attribuer en partie les nombreuses maladies de peau dont les insulaires sont attaqués. J'ai vu à Vahou un Anglais que la goutte avait rendu entièrement perclus; il ne pouvait ni s'asseoir ni marcher. Voici comme un vieil insulaire s'y prit pour le guérir. Il lui fit d'abord observer la diète la plus rigoureuse; ensuite il le frottait constamment tous les jours, en appliquant les mains depuis la ceinture jusqu'au bout des pieds, et ne cessait que lorsque le malade s'endormait. En six semaines celui-ci fut entièrement guéri, comme il nous l'apprit lui-même lorsque nous revînmes à Vahou. Le procédé employé par cet insulaire rappelle ceux que le magnétisme met en usage. On supposait qu'à la mort de Tamméaméa, Taïmotou s'emparerait de Movi, et Kraïmokou de Vahou, les îles les plus abondantes en denrées et en bois de Santal; et qu'Ovaïhy, l'île la plus pauvre du groupe, resterait à Lio-lio. Les Européens établis dans l'archipel soutiendront sans doute les deux premiers prétendants chez lesquels ils ont toujours trouvé de l'appui, tandis qu'au contraire Lio-lio, ainsi que je l'ai déja dit, est leur ennemi juré. Les îles d'Otouvaï et d'Onihaou, appartenaient au roi Tamouri, qui demeure sur la première. Tamméaméa les avait conquises; des secours fournis à Tamouri par la compagnie russe d'Amérique, le mirent à même de les recouvrer, et elles formèrent de nouveau un royaume séparé. L'état des choses a subi un nouveau changement. A notre arrivée à Vahou, l'année suivante ( 1817), nous apprîmes que Tamouri avait envoyé des ambassadeurs à Tamméaméa, et s'était volontairement soumis à sa suzeraineté. On dit que l'île d'Otouvaï abonde en bestiaux, et de même que Movi est aussi très-féconde en orangers; mais ce fruit n'y est |
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pas bon, il est trop aigre. On fabrique à Otouvaï de très-belles nattes avec des feuilles de baquois (Pandanus odoratissimus). Vahou produit des ananas qui sont assez gros; on y a planté des pommiers et des poiriers; ils n'y réussissent que dans les montagnes; ils n'ont pas encore porté de fruits. On y voit quelques vignes; elles ont été plantées par un Espagnol nommé Marini, établi dans cette île, à laquelle il a fait beaucoup de bien, parce qu'il entend toutes les branches de l'économie rurale et domestique. Un tel homme est d'autant plus précieux pour cet archipel, que tous les Américains et les Anglais qui s'y sont fixés sont des marins qui ne connaissent que leur métier. Marini sale une très-grande quantité de chair de cochon pour les navires qui relâchent ici; les salaisons sont bien faites. Il fait aussi sécher des bananes qui sont un mets exquis, non-seulement à la mer, mais aussi à terre; enfin il confit beaucoup de fruits au vinaigre. La langue des insulaires est très-aisée à apprendre; elle consiste généralement en mots composés, tels que:
Let t se confond ordinairement avec le k, et le l avec le r, par exemple:
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Tous les noms ont une signification:
Ce nom est celui de beaucoup d'insulaires; on donne aussi ces mêmes noms aux Européens en y ajoutant haouri, adjectif qui veut dire étranger on appelle ceux-ci, en général, kanaka-haouri, hommes étrangers. Il nous sembla que les hommes d'un rang élevé et les jeunes femmes, prononçaient ordinairement t pour k, et l pour r. La danse de ces insulaires, sur-tout celle des hommes, est extrêmement gracieuse; ils ne remuent pas beaucoup les pieds, ne faisant qu'un pas de côté, en avant ou en arrière; mais la tête, les bras et le corps, sont dans un mouvement continuel, qui, loin d'être fort ni outré, offre toujours l'harmonie la plus agréable, une grace infinie. Les hommes ne dansent ordinairement ensemble qu'au nombre de trois devant un cercle de spectateurs; les femmes se réunissent souvent au nombre de cinquante pour danser; c'est un divertissement qu'elles prennent; les hommes au contraire sont des danseurs de profession qui se font payer. Quand ils dansent bien, les femmes leur jettent pour récompense des pièces entières d'étoffes. Les hommes ainsi que les femmes ont pour danser un costume particulier; les hommes portent des boucliers légers, couverts de plumes de coq et d'autres oiseaux, et à la poignée desquels est attachée une petite calebasse qui renferme des cailloux. Quand le bouclier est agité, ils font un bruit qui n'est pas désagréable, sur-tout quand on le remue en mesure avec l'air de la danse. Les musiciens qui jouent pour accompagner les danseurs, ont à la main gauche une grande calebasse vide, ils l'élèvent doucement en l'air, et la laissent tomber à terre; il en résulte un son sourd |
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mais non dépourvu d'agrément; de la main droite, ils en frappent un petit tambour, fait d'écalles de cocos et recouvert de peau de requin. Indépendamment de ces instruments, les femmes ont des morceaux de bois qu'elles frappent en mesure les uns contre les autres, ou des morceaux de roseau creusés d'entailles transversales, et sur lesquels on fait passer, de l'un à l'autre bout, de petits morceaux de bois, ce qui produit un son bruyant comme celui d'une cresselle. Les hommes portent à l'avant-bras des ornements en os, et autour des jambes plusieurs cordons de dents qui font du bruit quand ils remuent. Toutes les danses sont accompagnées d'un air qui est toujours le même. Nous avons souvent entendu le peuple crier aux danseurs qui avaient fini, de danser comme les kanaka-haouri (les étrangers). Les danseurs obéissaient à cette injonction, faisaient des sauts et des cabrioles, ensuite valsaient, et les spectateurs éclataient de rire. Nous avons souvent vu les insulaires danser assis: ils s'accompagnent en chantant, en frappant des mains, et battent la mesure sur leur poitrine. Les femmes portent souvent au cou des tresses de cheveux d'hommes, auxquelles est suspendu par devant un morceau d'os taillé en forme de langue; c'est ordinairement de la dent de cachalot que les Américains vendent très-cher aux insulaires. |
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Les verroteries rouge - foncé sont seules recherchées; on ne fait aucun cas de celles qui sont d'une autre couleur. On attache un grand prix au drap d'Europe. Les femmes aiment beaucoup les miroirs; elles en demandent toujours; quand elles en ont, elles les portent constamment avec elles, et s'y regardent presqu'à chaque instant. On jouit dans ces îles de la même sûreté que dans les pays civilisés de l'Europe; nous avons souvent dormi à terre dans les cabanes des habitans. Plus de deux cents étrangers Américains et Anglais vivent dans cet archipel; les insulaires leur témoignent beaucoup de considération; quelques-uns n'y font qu'un séjour assez court, d'autres y restent soit pour servir d'interprètes aux bâtimens qui arrivent, soit pour les approvisionner; d'autres n'y viennent que pour aller dans d'autres pays du monde; car on y trouve presque toujours des navires destinés pour la côte nordouest et même pour tout le continent de l'Amérique; pour les Philippines et pour Canton. Les maisons sont commodes et propres, sur-tout celles des femmes; elles sont construites en claies, recouvertes en haut et sur les côtés d'herbe sèche, enduite de terre. Une fenêtre sert à donner de l'air plutôt que du jour; les portes sont très-basses. Les maisons sont toujours dirigées du nord-est au sud-ouest. Les insulaires aiment extrêmement le combat de la lance; ils la jettent et la parent avec beaucoup d'adresse, en se baissant et se jetant de côté, ou en sautant suivant que la circonstance l'exige; quelquefois même ils saisissent la lance qui vient vers eux, et la jettent à leur adversaire. Le 1er ( 12 ) décembre, nous avons levé l'ancre, salué le pavillon du roi Tamméaméa de sept coups de canon, qui furent rendus coup pour coup, et quitté les îles Sandwich avec l'espoir d'y revenir. |
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L'on apprit, l'année dernière ( 1820 ), par une lettre de M. Ricord, gouverneur du Kamtchatka, la mort de Tamméaméa. "Cet homme extraordinaire, dit M. Ricord, semblait destiné par la Providence à tirer ses compatriotes de l'ignorance et de la barbarie, en introduisant parmi eux les connaissances, les arts et la civilisation de l'Europe et de l'Amérique. Ce fut au mois de mars 1819 qu'il mourut, à Ovaïhy, après une maladie de quelques jours. Peu de temps auparavant, un phénomène extraordinaire avait eu lieu dans cette île. Les eaux de l'Océan y étaient montées à six pieds, puis redescendues, en un certain nombre de minutes, pendant trois heures, et avec tant de régularité et de tranquillité, que ni les bâtiments mouillés dans le port, ni les maisons situées sur la côte, n'en éprouvèrent aucun dommage. Par l'effet d'une superstition naturelle à tous les peuples sauvages, les insulaires regardèrent ce phénomène comme le présage de la mort prochaine de leur roi. Tamméaméa sentant approcher sa fin, avait fait rassembler autour de lui les chefs des îles qui lui étaient soumises; il les exhorta à maintenir religieusement ses institutions; "Nous en sommes redevables, leur dit-il, aux hommes blancs qui Ensuite il nomma pour son successeur Rio-Rio, son fils, âgé de vingt ans, et lui fit prêter serment en cette qualité par les chefs réunis; mais il recommanda à sa femme d'avoir soin de lui, à cause de sa jeunesse, la créant ainsi, pour un temps, régente de ses états. Quelques heures après, il expira. Conformément à l'usage du pays, la personne reconnue comme devant hériter de l'autorité suprême, est obligée de quitter le |
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lieu et même l'île où le roi est mort. Rio-Rio dit à ses amis, en partant d'Ovaïhy: « Puisque mon père m'a trouvé digne d'être son successeur, de préférence à mes frères, je ne souffrirai pas d'autorité supérieure à la mienne; et je déclare expressément qu'à l'expiration du terme fixé, je reviendrai comme roi, ou bien je ne serai rien. » Les chefs restés à Ovaïhy s'exercèrent aux évolutions militaires; toute l'île est remplie d'hommes la plupart armés à l'européenne. Les bâtiments étrangers qui se trouvaient alors mouillés dans le port, furent dans la nécessité de se tenir prêts à combattre. Telle était la situation des îles Sandwich au départ du navire américain qui nous a apporté ces nouvelles. On croyait que RioRio, qui a un parti considérable en sa faveur, et que les bâtiments américains sont préparés à soutenir, si les circonstances l'exigent, réussira à maintenir son autorité légitime, lors même qu'il y aurait du sang répandu. Le trésor trouvé à la mort de Tamméaméa se monte à 500,000 piastres: il l'avait amassé par son commerce avec les Européens. Ce monarque possédait aussi une grande quantité de marchandises, et quelques bâtiments marchands bien armés. Ce trésor peut passer pour être d'une richesse extraordinaire, si l'on considère qu'à l'époque du voyage de Vancouver aux îles Sandwich, en 1793, Tamméaméa vint lui-même le trouver avec d'autres insulaires, pour échanger des bananes et des cochons contre des clous. Vancouver, qui était embarqué avec Cook, lorsque ce grand navigateur découvrit les îles Sandwich, en 1779, se rappelait Tamméaméa, neveu du roi Terriobou, comme un homme d'une physionomie extrêmement farouche. Dans l'intervalle, Tamméaméa était parvenu à la suprême puissance. Vancouver fut agréablement surpris de voir que les années avaient adouci la férocité |
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des traits de Tamméaméa, et que sa figure annonçait de la franchise, de l'intelligence, de la bonté et de la générosité. Il eut plusieurs occasions de reconnaître l'esprit d'ordre et la sagesse de ce prince. Toutes ses questions étaient judicieuses; rien de ce qui était utile n'échappait à ses observations. M. Ricord cite un fait qui donne une bonne idée de l'esprit et du caractère de Tamméaméa. Un chef très-ambitieux qui s'était échauffé l'imagination en buvant du rum, avait déclaré qu'il n'obéirait pas à un ordre du roi qui venait d'être publié; et quelqu'un lui ayant adressé des représentations, il s'écria avec hauteur: Croyez-vous donc que je ne suis pas aussi bien roi dans mon île que Tamméaméa Tamméaméa à Ovaïhy? "Instruit de ce propos, le roi dit à quelqu'un de porter à celui qui l'avait tenu le crachoir dont le monarque seul a le droit de se servir. Quand le chef reçut ce présent inattendu, il comprit le motif pour lequel Tamméaméa le lui envoyait; et le lui reporta avec tout le respect qu'un sujet doit à son souverain.» M. Freycinet, capitaine de vaisseau, qui vient d'achever un voyage dans le Grand-Océan, attérit à Ovaïhy le 5 août 1819. Il nous apprend qu'après la mort de Tamméaméa, son palais avait été réduit en cendres; et qu'à l'occasion de ses obsèques, la presque totalité des cochons de l'île avait, suivant l'usage, été égorgée. M. de Freycinet ajoute que Rio-Rio ne jouissait encore que d'une autorité précaire. Les chefs soumis par les armes de Tamméaméa élevaient des prétentions extraordinaires, ce qui faisait craindre une guerre prochaine. Tamméaméa devait, à l'époque de sa mort, être âgé de soixante-quinze ans environ. Son visage, quand je le vis en 1817, pour la dernière fois, annonçait un septuagénaire. J'espère que l'on me pardonnera ces détails sur un roi qui a montré un caractère très-remarquable, et qui, si le ciel l'eût fait |
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naître dans un pays civilisé, eût certainement tenu un rang distingué parmi les princes ses contemporains. Pl. XI, fig. 1. Vase fait avec une calebasse, dans lequel on conserve le payà. Les parois extérieures représentent une danse des habitants. Fig. 2. Vase à mettre de l'eau. Il est également de calebasse. On voit sur ses parois des chèvres et des fusils. Fig. 3. Crachoir orné de dents humaines. Le roi seul se sert de ce meuble. Fig. 4. Écale de coco revêtue de peau de requin; elle sert de tambour dans les danses. Fig. 5. Baguette à battre ce tambour. Fig. 6. Hache de pierre: l'on n'en fait plus usage. Fig. 8. Instrument destiné à tatouer. On le trempe fréquemment dans de l'eau où l'on a fait dissoudre du charbon; puis on l'applique sur les endroits où l'on veut empreindre des figures, et on le frappe légèrement à coups redoublés avec l'instrument fig. 7, jusqu'à ce que l'épiderme soit percé: ces endroits piqués se gonflent, mais en trois ou quatre jours au plus l'enflure disparaît. Fig. 9. Instrument de musique. Il consiste en un bambou sur lequel on a creusé des entailles transversales, et le long duquel on promène un petit bâton (fig. 10), ce qui produit un bruit semblable à celui d'une crecelle. Fig. 11 et 12. Zagaies ou javelots. Fig. 13. Lance. Pl. XIV, fig. 1. 2. Bonnets faits de feuilles de baquois. Fig. 3. Pipe. On s'en sert pour fumer sans employer de tuyau. Fig. 4. 5. Hameçons pour pêcher le poisson. |
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PLATES.
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Pl. II. Roi Tamméaméa. |
Pl. IV. Taymotou, frere de la reine Cahoumanou. |
Pl. VII. Idoles des îles Sandwich. |
Pl. XVII. Femme des îles Sandwich. |
Notes.
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Source.
Choris, Louis, 1795-1828.
This transcription was made from the volumes at Google Books and Hathi Trust.
Last updated by Tom Tyler, Denver, CO, USA, Mar 16, 2023
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Sandwich Islands Contents Notes Source Whalesite |
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